L'OFLAG IV D

 

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Mise à jour le 08-déc.-2003.

 

 

 

L'OFLAG IV D

AMBIANCE D'INSTALLATION

À quelques quatre kilomètres de ce bourg, notre colonne à pied gagna le camp OFLAG IVD en un lieu dit ELSTERHORST.

OFLAG est le terme condensé de OFFICIER LAGER ou camp d'Officiers prisonniers ou KRIEGSGETANGETEN OFFIZIERE.

Ce camp est un ensemble de baraques en bois disposées en blocs séparés par des barrières en fil de fer barbelé de deux mètres de haut. L'ensemble du camp est entouré d'un solide réseau de fil de fer de même hauteur renforcé par endroits et surveillé à l'extérieur par des miradors d'un étage équipés de mitrailleuses. La surveillance est complétée par des sentinelles. Une allée centrale partage le camp avec une porte d'entrée à chaque extrémité. À l'une il y a le poste de garde, à l'autre le komandatur et des baraques de services. Au centre du camp une vaste baraque perpendiculaire à l'ensemble des blocs, la cantine avec une grande salle et d'autres petites pièces. Dans l'une habitera le Colonel MEUNIER qui sera le responsable des Officiers français vis à vis du chef Allemand. Celui-ci est un vieux colonel prussien d'une autre époque, secondé de deux ou trois Officiers relativement jeunes.

À l'extrémité du camp, tout contre l'entrée principale où se trouve le corps de garde, un bloc est occupé par le détachement de garde allemand. À côté un lazaret ou infirmerie.

Dans une cour se dresse un bâtiment en dur avec une haute cheminée les douches et la désinfection, on l'appelait le " Lauseclum, soit mausolée aux poux ".

Ce camp a été longuement et minutieusement décrit et dessiné, il suffit de se reporter au livre d'un Officier prisonnier avec moi " derrière les barbelés " ainsi que l'album illustré du camp dont Monsieur CURTIL ex PG du camp m'a fait don après mon évasion.
 

UNE VIE NOUVELLE COMMENCE

Nous étions six mille Officiers de tous grades jusqu'à celui de colonel dans cet OFLAG à l'aspect rébarbatif ; qui s'étendait dans une plaine sans aucun relief, morne, dépourvue presque totalement d'arbres sauf une touffe autour de l'unique maison d'ELSTERHORST à proximité du camp. Pays très pauvre, de culture maigre, seul le sous-sol recèle de la lignite dont certains gisements sont exploités. Rarement dans les champs autour du camp nous apercevions quelques paysans, hommes et femmes. Ils avaient l'air de slaves, les hommes bottés, mais surtout les femmes avec leurs longues et amples robes ; cela nous avait frappés.

Au début, une partie du camp était occupée par des soldats français prisonniers qui nous fournissaient des ordonnances. Ceux-ci, qui rentraient chaque soir dans le camp des soldats, nous permettaient d'avoir quelque liaison avec l'extérieur, mais bientôt tous les soldats français furent expédiés ailleurs. Il ne resta que les ordonnances et peu à peu les liaisons avec l'extérieur se réduisirent aux civils allemands d'HOYERSWERDA qui avaient un service à remplir au camp : conducteur de charrettes d'enlèvement de poubelles ou de véhicules amenant du ravitaillement à la cantine ou encore apportant les caisses d'effets de la Croix-Rouge, les gens étaient d'ailleurs en compagnie de militaires allemands qui ne les quittaient pas d'une semelle.

La vie à laquelle il fallait s'habituer était inactive et nous laissait désemparés, car elle venait après l'activité fébrile de la bataille où l'on ne dormait plus, l'esprit sans cesse tendu pour faire face aux opérations, soit dans les déplacements vers la HOLLANDE à travers la BELGIQUE, soit après le repli dans les combats de DOUAI et de LILLE. Les privations de nourriture, l'inconfort des chambrées, le sommeil sur des planches avec une paillasse de ripes de bois fut un dérivatif à nos pensées. Beaucoup qui venaient de passer les six ou huit mois de guerre d'attente sans la moindre activité de guerre, la " drôle de guerre " comme elle était appelée, avaient pris des habitudes de confort et surtout d'excès de nourriture. Ils étaient gros et adipeux, aussi leurs préoccupations d'alimentation furent elles primordiales et leur angoisse assez grave quand ils virent leurs kilos fondre au fil des jours. Le seul appoint possible de ravitaillement nous venait de FRANCE par petits paquets de 1 à 2 kilos, certains en auraient dévoré l'emballage s'il avait été comestible.

La portion congrue à laquelle nous étions réduits chaque jours consistait en du malt très clair le matin ; à midi une écuelle de soupe où la viande n'apparaissait que pour mémoire et le soir cinq groseilles à maquereaux ou une rave… Aussi les protestations furent vives. Le Colonel allemand répondit un jour au Colonel MEUNIER qui apportait les doléances :

" - Vous êtes arrivés trop nombreux à la fois et je ne suis pas responsable si les Français mangent en un jour la quantité de viande qui est attribuée pour une semaine aux ALLEMANDS non travailleurs ".

Certains aussi qui avaient des maux de foie, d'estomac, de reins, des tics virent cependant beaucoup de leurs malaises s'atténuer, sinon disparaître avec leur amaigrissement. Des Officiers ont perdu jusqu'à trente kilos.

Cette période de privation durement ressentie venait ajouter comme un pénitence nouvelle à l'épreuve douloureuse de la défaite, de l'incertitude sur le sort des familles devant l'invasion que l'on savait totale par la lecture de la presse allemande. Le moral baissait. Mais contre toute attente on ne sentait pas un désespoir définitif s'installer chez tous. Quelque chose d'inconscient, d'irraisonné nous soutenait quand même, sans pouvoir entrevoir comment la FRANCE sortirait de là. Personnellement, je possédais profondément ce sentiment et je ne désespérais pas.

Mes conversations avec les allemands pendant le trajet et aussi à SOEST, m'avaient laissé une opinion sur l'ALLEMAGNE, je ne la voyais pas une homogène, cohérente dans la profondeur de ses structures et de ses esprits bien que je me rendisse compte cependant qu'il y avait une jeunesse fanatique, prête à toutes les folies que lui demanderait HITLER.

Un exemple : Il y avait au camp une jeune Gefreite (caporal) fils d'un chef nazi de LEIPZIG, il s'occupait de surveiller notre organisation de Croix-Rouge dont j'avais assumé la direction. Un jour que je venais d'effectuer une marche quotidienne en vue de m'entraîner pour mon évasion par un froid de près de moins quinze sur la neige glacée, balayée par le vent d'est, ce vent glacé de RUSSIE, je suis rentré dans notre bureau bien chauffé où il se trouvait avec un Officier français professeur d'allemand. Je dis à la cantonade, ce qui lui fut traduit tout de suite, :

" - Il fait un sale vent et ce pays est vraiment abominablement froid, je vous plaints d'y vivre l'hiver " ajoutai-je en regardant le Gefreite,

Vivement il me répondit :

" - Oh ! non nous ne sommes pas à plaindre, l'an dernier par pareil temps je faisais partie d'une équipe de jeunes du Service du Travail et nous redressions le cours d'un torrent, nous étions dans l'eau avec des bottes de caoutchouc et c'était autre chose que de marcher dans le vent ",

Je ripostai :

" - Vous ne deviez pas bénir les Chefs qui vous faisaient exécuter ces travaux en une telle saison " ?

" - Détrompez-vous, me dit-il, nous étions fiers et heureux de travailler ainsi pour le FURHER de la Grande ALLEMAGNE ; s'il le fallait nous recommencerions ".

Le même à qui j'avais dit un jour :

" - Vous êtes de LEIPZIG, triste souvenir que cette ville et ce nom pour nous FRANÇAIS ! Napoléon y fut battu par une coalition dans laquelle était la PRUSSE. À ce moment là d'ailleurs vous étiez amis des ANGLAIS… Ah ! les ANGLAIS, il ne fait pas bon être leur ennemi. Ils ont vaincu Napoléon et cependant Napoléon… ! Mais voilà, Napoléon à BOULOGNE n'a pas pu franchir avec sa flotte et son armée les 30 kilomètres du PAS DE CALAIS ! L'ANGLETERRE n'a pas connu, n'a jamais connu d'invasion depuis les NORMANDS. Pour les vaincre, il faut franchir avec une armée ces 30 kilomètres de mer.

Brusquement, il coupa le lieutenant qui avait traduit et rétorqua :

" - Le Colonel connaît bien son histoire mais les temps ne sont plus les mêmes. Quand HITLER le voudra nous franchirons cette mer, dussions nous le faire sur un pont de cadavres, on ne nous en empêchera pas ".

" J'arrêtai là cette conversation. Je ne sais ce qu'il est advenu de ce garçon fanatique. Pour moi, j'étais confirmé dans mon idée que les ALLEMANDS allaient être embarqués dans une fantastique aventure et j'en fis part à quelques uns de mes Officiers à l'occasion des " Tuyaux sur la Paix ".

Les prisonniers croyaient la guerre perdue totalement et pensaient qu'on allait faire la paix, c'était logique.

En juillet 1940, des bruits venus du dehors circulaient et un jour un de mes bons lieutenants de réserve vint me voir en me disant :

" - Mon Colonel, je suis navré, la Paix va être signée et bientôt tous les Officiers de réserve seront rapatriés, mais les Officiers d'active seront gardés prisonniers jusqu'à la fin. Cela me fait de la peine de savoir que vous allez rester et qui sait combien de temps " ?

Je lui ai répondu :

" - Mon Cher Ami, je suis bien sensible à vos sentiments à mon égard, mais réfléchissons tous les deux, d'abord admettons qu'il y ait la paix. Il y a actuellement dix huit cent mille prisonniers français, dit-on. Pour les ALLEMANDS la guerre continuera avec l'ANGLETERRE, la guerre nécessite du ravitaillement de toutes sortes, des évacuations, etc…, par conséquent en n'envisageant que le point de vue des transports, on n'utilisera que ce qui ne sera pas employé à la guerre pour le rapatriement des prisonniers. Par exemple : cent mille par mois, dix huit mois seront nécessaires. Si vous êtes rapatrié dans les premiers, tout ira bien, sinon !… Écoutez-moi bien. Vous avez vu l'ALLEMAGNE, les nazis, les troupes, j'ai l'impression que nous avons devant nous une ALLEMAGNE insoupçonnée très différente de celle de 1914, une Allemagne entraînée et dominée par des fanatiques surtout après leurs victoires de POLOGNE et de FRANCE. Ils vont tenter des choses formidables… nous allons revivre l'épopée napoléonienne, style allemand mais à l'échelle du siècle. Le rapport d'homothétie quant à la durée, je ne le connais pas. Cela durera peut être longtemps, longtemps… mais croyez-moi, je pense que ces gens là vont faire des folies et vont agir avec démesure. Ils iront au-delà de la limite d'élasticité, ils la rompront et perdront la guerre, cela sans autre argument qu'une intuition ; mais je vous dis, vous qui êtes jeune, partez, apprenez l'Allemand, regardez si le réseau de barbelés, un jour, n'a pas un trou pour y passer… Évadez-vous, et vous risquez d'être plus vite chez vous qu'en attendant la paix ".

" Pour moi, j'ai cinquante ans, je vous le dis confidentiellement, c'est ce que je vais faire si Dieu m'aide, mais il faut se préparer minutieusement. Encore une fois merci, mon petit ".

Je n'attendais pas d'issue à la guerre avant longtemps et j'espérais bien être présent à cette issue dans un rôle actif.

Nous n'avions pas entendu, et pour cause, l'appel du Général de Gaulle. Nous suivions par la presse d'ALLEMANDE le changement que l'exode, l'armistice apportaient à la vie de la FRANCE. Le partage par la ligne de démarcation, l'apparition de l'état français, le grand chambardement intérieur, tout cela me paraissait une étape sans que je sache pourquoi.
 

JE DECIDE DE M'ÉVADER

Dès lors, sans rester étranger à la vie du camp, telle qu'elle s'organisait peu à peu, le problème de mon évasion fut mon but essentiel et conditionna totalement l'organisation de mon existence à l'OFLAG IVD.

Certes, les préoccupations qui assaillaient mes camarades sur leurs familles, leurs craintes pour elles, leurs supputations sur l'avenir de la FRANCE, sur le leur avaient aussi en ce qui me concernait des résonances identiques.

En fin d'Avril 1940, j'avais laissé ma chère femme et mon grand fils de seize ans à CLERMONT-FERRAND où l'ennemi était entré. Qu'était-il advenu d'eux ? Ma femme, assez fatiguée au moment de mon départ aux armées, avait montré un très grand courage le jour de la séparation. Vu son état de santé, j'avais préféré qu'elle ne vint pas m'accompagner à la gare. Mon fils était venu à ce train de 17 heures pour PARIS. Il devait passer sa 2ème partie de baccalauréat.

Comme tous, j'attendais des nouvelles, savoir d'eux quelque chose… Le temps durait… Enfin je fus fixé. Je reçus une première lettre dans laquelle ma femme m'annonçait la mort de ma mère à LESPARRE, de même que la dernière lettre qu'on m'écrivit au camp fut pour m'annoncer la mort subite de mon père à BORDEAUX.

Puis je sus que mon fils était rentré de BORDEAUX où sa mère l'avait envoyé par la route à bicyclette avec quelques pièces d'or pour s'embarquer pour l'ANGLETERRE au moment où les ALLEMANDS pénétraient à CLERMONT-FERRAND. Après une longue odyssée jusqu'à BORDEAUX, son grand père l'avait rapatrié un mois après. Il revint vieilli et mûri et m'annonça qu'il était rentré à temps pour passer son baccalauréat avec mention.

 

Instant de joie, car eux aussi avaient reçu de mes nouvelles leur apprenant que je n'avais pas été noyé à bord du Sirocco (ou Siroco) comme on leur avait dit.

Le Sirocco      L'un des marin du Sirocco

Le Sirocco était cet aviso français  (torpilleur) qui avait embarqué à DUNKERQUE des repliés de notre division dont le drapeau du 92ème RI. Il fut coulé et tous moururent.

Bien que je fusse rassuré sur les miens, leur situation me préoccupait et me hantait. J'aspirais à revenir au plus tôt en m'évadant, mais il fallait réussir mon évasion ! À mon âge, je ne pouvais me permettre une tentative manquée que je n'aurais pu renouveler.

Cette décision fermement prise, une préparation minutieuse était nécessaire mais elle devait être faite de longs mois et passer inaperçue. Il fallait donc organiser ma vie de camp de façon à ne pas trahir mon secret et donner le change à mes camarades et aux allemands.

Vis à vis de ceux qui pouvaient nous juger par la censure qu'ils exerçaient sur notre correspondance, j'écrivais dans mes lettres que la guerre durerait très longtemps, qu'il fallait s'accoutumer à cette idée d'une séparation longue.

Parallèlement j'acceptais de remplir dans le camp des charges de service général au bénéfice des Officiers captifs pour paraître m'installer pour longtemps dans la captivité comme tous les Officiers le faisaient.

Dans un aussi vaste camp les six mille Officiers constituaient une véritable petite cité communautaire. Parmi les prisonniers se trouvaient de nombreuses personnalités de valeur dans toutes les branches de l'activité humaine.

Des professeurs, des prêtres, des pasteurs, des artistes, des ingénieurs… Bientôt il y eut une chapelle, une université, un théâtre avec sa troupe, des cours et des conférences de toutes sortes…

Une multitude de prisonniers étaient inscrits à l'Université, d'autres suivaient des cours spécialisés d'ingénieurs, etc… Cette activité fébrile n'était qu'un dérivatif à leurs inquiétudes, voire à leurs angoisses. Ils cherchaient à oublier le désarroi mental dans lequel la défaite nous laissait. Vaincus, nous méditions sur la précarité de la condition humaine, sur la fragilité même de notre civilisation.

Hier dans un cadre ordonné, chacun était un chef, commandait, avait de graves responsabilités dans le feu de l'action. Subitement les armes sont tombées de nos mains, l'autorité disparue ; le dernier soldat ennemi est le maître et impose la règle qu'on lui a prescrit de nous appliquer et que parfois il enfreindra au détriment du vaincu par pur arbitraire. Un coup de crosse, un coup de feu sur un imaginaire geste de refus ou même sur un traînard épuisé. Le P.G. fut-il Officier, n'est plus qu'un numéro qui fait un effort désespéré et vain pour se faire considérer autrement, pour faire admettre que même pendant la guerre il reste une individualité propre, un être humain.

Ces introspections amenaient souvent un retour de spiritualité, souvent oubliée et dédaignée dans la tourmente. Grâce aux aumôniers catholiques et aux pasteurs, une œuvre d'édification naquit dès le début dans le camp souvent au prix d'efforts considérables de la part des prêtres arrivés au camp, épuisés.

La chapelle ne désemplit plus de toute la journée, elle servait aux catholiques comme aux protestants.

Ce réveil spirituel se fit surtout sous l'énergique impulsion du R.P. Ste Marie Jésuite, aumônier d'un corps d'armée, qui dans la précédente guerre mondiale avait été trépané à la suite d'une grave blessure. Bien qu'âgé, ce prêtre magnifique de ferveur galvanisa les autres aumôniers et les Officiers. Il refusa d'être rapatrié avec le personnel sanitaire.

Un soldat français disait à un de ses camarades en le voyant passer :

" - Tu vois, le vieux curé à la barbe grise, il a refusé d'être rapatrié. Mon vieux, mon vieux tu parles !… " tant il sentait de grandeur dans le geste du R. Père.

Mais pour les prisonniers imprégnés de leur foi, un problème de conscience se posait à ceux qui voulaient s'évader. Fallait-il par une évasion se soustraire à l'épreuve de la captivité que la Providence leur avait imposée. Ne fallait-il pas la subir, en faire jaillir une élévation plus grande de son âme par une vie religieuse plus intense et quasi monastique ? Des religieux étaient de cet avis mais le R.P. Marie déclara que le Chrétien ne doit pas être fataliste, qu'il a sa liberté d'action, qu'il a le droit d'oser, laissant à Dieu le soin de faire de son action un succès ou une continuation de l'épreuve. Personnellement, je n'eus aucun scrupule à tenter l'aventure.
 

PRÉPARATION

Ce point réglé, il n'y avait plus qu'à tout mettre en œuvre avec discrétion, sang froid ; une évasion n'est pas une chose à tenter à la légère quand on se trouve en BASSE-SILÉSIE, près de BANTZEN à l'extrémité de l'ALLEMAGNE opposée à la FRANCE.

Le problème était donc :

- Sortir du camp,

- Traverser l'ALLEMAGNE Pour atteindre et franchir une frontière libératrice,

- Agir seul ou en équipe selon l'opportunité,

- Etre en condition physique pour supporter un gros effort,

- Avoir réuni pour soi et, éventuellement ses coéquipiers, les moyens matériels pour un tel périple :

- Vêtements convenables, vivres adaptés, bagages réduits ad hoc, connaissance de toute la réglementation que le nazisme avait imposé à la population ennemie qu'on allait côtoyer, et bien connaître son mode de vie, cartes d'alimentation, ausweis c'est-à-dire permis de voyage, savoir ce qui était permis ou interdit.Uniforme français

Toutes ces questions ne pouvaient recevoir de solutions satisfaisantes qu'avec le temps et avec un travail minutieux et journalier de mise au point.

On ne pouvait concevoir de sortir, d'utiliser une occasion de sortie possible que si l'équipement, l'entraînement et le plan d'évasion étaient prêts. Le plan qu'il était primordial d'établir ne pouvait l'être qu'après des informations sérieuses, car une fois sorti du camp, où aller ? vers la POLOGNE, la TCHECOSLOVAQUIE, qui étaient les plus près de nous mais occupés aussi par les ALLEMANDS ? Vers la SUISSE ? la BELGIQUE, la FRANCE ? Comment s'y rendre ? à pied, en train ?…

La sortie du camp n'est pas tout. Au début de la captivité, l'afflux énorme de prisonniers avait submergé les organisations des OFLAGS. La surveillance générale du camp avait des fissures et dans le brouhaha et les allées et venues, la sortie était possible. Quelques Officiers la tentèrent, une réussite, mais peu à peu le problème de la sortie du camp devint plus complexe. Chaque évasion manquée ajoutait en quelque sorte un verrou à notre OFLAG. Il fallait donc éviter de brûler les sorties repérées et patienter jusqu'au moment où les préparatifs, la mise en condition, le plan serait parfaitement au point.

Cette mise au point ne peut se faire que peu à peu et au fur et à mesure des événements et de la vie du camp en saisissant toutes les éventualités favorables pour s'équiper et se renseigner. Ce qui me parut le plus urgent fut de me procurer avec mon argent de camp des marks véritables dès la première occasion.

Tout au début de notre installation, je pus acheter quinze reichmarks (véritable monnaie allemande) en échange des cent vingt lagermarks (marks de camp, réservés aux prisonniers) à quelques prisonniers polonais venus en corvée de travail pour quelques jours. Pour s'évader, l'argent est indispensable et je ne pouvais laisser échapper cette possibilité d'acquérir de vrais marks. Je m'assurai aussi une boussole qu'un Officier avait conservée et très discrètement je mis ces précieux objets à l'abri. Ce n'était qu'un commencement, il fallait d'autres marks.

Parallèlement, je commençai mon entraînement. Ma maxime fut : " TOUJOURS DEBOUT, TOUJOURS DEHORS ". J'avais cinquante ans et je ne pouvais me permettre de voir mon potentiel physique s'affaiblir en restant étalé ou assis sur mon grabat. Ne se coucher que pour dormir la nuit et se lever tôt.

Une complication surgit, assez gênante pour moi si je n'avais réussi à m'y soustraire. Les Allemands eurent l'idée de regrouper dans une même baraque tous les Officiers supérieurs du camp ne laissant que les Officiers subalternes dans les autres. Je réussis à rester dans la mienne avec les Officiers de mon régiment en qui j'avais pleine confiance et où il y avait mon capitaine adjoint DUBIEN, Ingénieur, Officier de réserve absolument remarquable à tous égards. Je trouvais ainsi plus de liberté, de facilité et une ambiance beaucoup plus vivante et agréable. Les jeunes Officiers étaient beaucoup moins portés à geindre sur leur sort, sur les privations et tous s'étaient inscrits dans des cours ou suivaient des conférences pour perfectionner leurs connaissances professionnelles.

L'inconvénient d'habiter seul Colonel dans cette baraque était qu'à l'appel quotidien du matin pour lequel les Officiers des baraques se groupaient en formations carrées dans la cour, je devais être présent seul devant la nôtre quand l'Officier Allemand passait. Mon absence éventuelle serait donc constatée dès le premier appel, alors qu'en groupe il était possible de tricher. Mais en revanche tous mes préparatifs échappaient à l'observation des Officiers, souvent absents, tandis que les Officiers supérieurs stagnaient perpétuellement auprès de leur travée de baraque jouant au bridge ou s'occupant de mille riens.

Mon emploi du temps était : de bonne heure messe, petit déjeuner, toilette et sitôt l'appel j'allais nez au vent dans le camp pour prendre les nouvelles, lire les journaux, marche de 12 kilomètres par jour au minimum en parcourant un certain nombre de fois les cours de chaque bloc quelque soit le temps et en observant minutieusement le fonctionnement de tout le système de surveillance allemand. Il fallait faire ces marches en épargnant le plus possible mon unique paire de chaussures. Ce détail a été très préoccupant jusqu'à l'arrivée de vêtements de la Croix Rouge.

Parfois, je remettais mes marches à l'après-midi, car j'avais accepté des fonctions. Le Colonel MEUNIER mon Commandant d'artillerie divisionnaire " Responsable " du camp m'avait chargé du service de distribution des envois de la Croix-Rouge, ainsi que d'un service d'informations diverses, soit sur la vie intérieure du camp soit sur les événements de la guerre provenant de la lecture des journaux nazis.

Ce dernier donnait chaque jour un communiqué lu le soir dans les baraques où on y attendait le " Qué ". Le service s'amplifia et il fut passé à une autre équipe.

Plus tard, je me mis à la tête d'un service clandestin pour les évasions à la demande de mon ami le Colonel DAMIDOUX (Damidaux) , mais cette dernière activité fut nécessairement très secrète pour ne pas attirer sur moi l'attention des services allemands.

Reichmarks de campsGrâce à mes fonctions, je pus greffer une organisation de renseignements pour les évasions et un bureau clandestin d'achat de reichmarks 

 

 

http://perso.wanadoo.fr/aetius/kg/KGPiletmark.htm.

Notre œuvre philanthropique nous a permis d'établir, au début du moins de la captivité, des relations avec les prisonniers français qui travaillaient dans les parages du camp en kommando.

Notre comité de Croix-Rouge disposait pour son fonctionnement d'une pièce assez vaste dans laquelle nous stockions les denrées alimentaires qui nous parvenaient en caisses de bois. Dans une autre baraque nous avions aussi un local de stockage de vêtements et couvertures où nous faisions un triage volontairement minutieux et très long sous le contrôle des Allemands, mais qui étaient utilisables pour faire des costumes civils. Les lots de couvertures que nous avions reçus provenaient de la réquisition pour les besoins de notre armée au moment de la mobilisation et il y avait beaucoup de pièces de drap en guise de couvertures.

Le service de la Croix-Rouge fonctionna de la façon suivante : dès qu'un envoi important nous parvenait, nous préparions une distribution très rapide de la plus grande partie par lots de baraques. Nous conservions toutefois une certaine réserve de vivres, de couvertures, d'uniformes et de chaussures.

Dans la pièce où nous conservions la réserve de vivres, nous avions fait avec des caisses empilées, des cloisons intérieures laissant entre elles trois couloirs, au fond de l'un de ceux-ci, on pouvait voir ce qui se passait dans l'autre, ceci pour faciliter le trafic des marks dont il sera parlé plus loin. La partie officielle remplie par la distribution générale, la fonction clandestine s'effectuait à l'occasion de la distribution de vivres aux soldats français du kommando voisin, nous leur avions fait dire d'obtenir qu'ils viennent s'approvisionner de leur part d'un envoi de Croix-Rouge collectif. Après un premier contact, nous leur avions demandé d'apporter des marks. Le service nous servait aussi à obtenir des renseignements des Officiers qui, repris après une tentation d'évasion et ayant terminé leur punition d'arrêts, avaient droit en rentrant au camp aux rations que nous avions distribuées durant leur absence. Sans qu'ils s'en aperçoivent, discrètement en leur donnant leur part, nous les questionnions minutieusement sur les détails de leur tentative et nous obtenions ainsi de très utiles informations pour le plan d'évasion.
 

L'ÉCHANGE DE MARKS

La petite somme de reichmarks que j'avais pu me procurer dès Août 1940 auprès des prisonniers polonais, était insuffisante. Il m'en fallait davantage, environ quatre vingt, des camarades en voulaient aussi. J'ai déjà mentionné que les ALLEMANDS avaient crée à l'usage des prisonniers, une monnaie spéciale de camp, les lagermarks, en laquelle avaient été converties les sommes d'argent français que nous avions sur nous au moment de notre capture et avec laquelle ils nous payaient notre demie solde chaque mois. Ces lagermarks servaient à nos achats à la cantine, au paiement de nos ordonnances et à l'entretien de notre vestiaire personnel.

Mais si ces lagermarks avaient au camp la même valeur que les vrais marks, ils étaient pratiquement inutilisables au dehors, sauf pour les soldats détachés en kommando qui pouvaient s'en servir avec les commerçants et avoir des vrais marks dans les échanges avec eux.

Nos soldats du kommando voisin avaient été très alléchés par notre invitation et très avides de venir recevoir leur quote-part de biscuits, chocolat, lait condensé, sardine, pâté de la Croix-Rouge, pour améliorer leur maigre ration alimentaire. Ils arrivèrent à décider le Chef allemand du kommando à envoyer au ravitaillement un petit détachement sous les ordres d'un UNTEROFFIZIER. Après la première distribution, nous les avons invités à revenir périodiquement et à nous apporter des R. marks, à échanger chacun contre trois lagermarks, opération très fructueuse pour eux (300 %). Nos troupiers ne demandaient qu'à profiter de cette aubaine s'ajoutant aux vivres très appréciés, mais il fallait que l'opération d'échange fut faite très discrètement et très vite, par un seul d'entre eux, celui-ci arrivait porteur de toute la commande faite par notre Officier spécialisé qui avait sur lui le triple de la somme.

Quand le détachement de P.G. arrivait à la baraque de notre Croix-Rouge, immédiatement il fallait jauger " l' UNTEROFFIZIER ", on lui offrait un verre de bière, acceptation ou refus renfrogné. Acceptation : pendant le temps où les soldats reçoivent un lot de denrées, dans le fond du couloir l'échange des marks se fait rapidement et sans bruit. Si le soldat avait été pris avec des lagermarks, il n'était pas en faute, c'était la monnaie du camp. L'Officier du change disparaissait aussitôt. À la fin de la distribution, on donnait au sous-Officier un peu de " Schokolade ", de sardines à l'huile, dont tous les allemands étaient friands.

Avec un sous-Officier intraitable, on procédait à la distribution de vivres devant lui dans la pièce, dans un grand désordre organisé ; on faisait goûter au P.G. du chocolat, des biscuits qu'il regardait malgré tout avec concupiscence. Dans le brouhaha d'un bout de couloir à l'autre, l'échange de marks se faisait comme un tour de passe - passe. Finalement le gardien acceptait pour ses enfants une plaque de chocolat, des boîtes de sardines, qu'il glissait dans sa poche…

Tout le monde avait intérêt à revenir. Jamais un sous-Officier n'a pu empêcher le trafic ; aucun, sauf un jeune nazi, n'a refusé quoi que ce soit.

Tout a une fin, les P.G. du kommando ne purent plus revenir, nous ne les avons plus revus, mais notre approvisionnement en R. marks était suffisant.
 

VIVRES, VÊTEMENTS, CHAUSSURES pour la ROUTE

Si la fonction philanthropique nous procurait l'argent pour l'évasion, elle nous fournissait en même temps, les vivres pour subsister pendant notre fuite. Nous recevions des biscuits, des figues, du chocolat, du lait condensé qui permettaient sous un volume réduit de s'alimenter substantiellement pendant un certain nombre de jours. Le problème se posait de les emporter avec soi. J'avais conservé ma sacoche de cuir jaune, comme en avaient les hommes d'affaires et les ALLEMANDS. Très solide et assez grande, je pouvais y mettre non seulement mon ravitaillement mais des rechanges d'effets, des objets divers, dont le détail est donné plus loin. J'avais fait une répétition générale et elle était en permanence, presque complète dans mes affaires à la tête de mon lit.

Il y avait la question de l'habillement et des chaussures pour pouvoir faire des randonnées à pied.

Mes préparatifs d'habillement avaient déjà commencé dès mon arrivée au camp. Je m'étais fait expédier de FRANCE par lettre assez ambiguë où je parlais de mon pyjama d'étoffe de drap gris et que ma femme avait bien comprise, un complet de drap gris foncé et une pèlerine en loden marron-rouille de mon fils (un peu courte pour moi) sur laquelle étaient cousus des boutons dorés d'uniforme ; étaient jointes une chemise de couleur et une cravate de civil. En raison de l'état lamentable de nos tenues de campagnes, les allemands avaient autorisé que l'on puisse recevoir des effets civils d'allure un peu militaire. Chemise, cravate, pèlerine me furent délivrées sans difficultés. Mais le costume me fut remis marqué sur chaque jambe d'une bande longitudinale de minium rouge et d'un triangle de même couleur dans le dos du veston. Après plusieurs semaines de grattage, de nettoyage et de teinture des traces au crayon violet d'aniline, ces surcharges furent invisibles. Au cours de mon évasion, je masquais la légère traînée rougeâtre qui subsistait sur mon pantalon en le brossant avec une brosse imbibée de cirage noir. J'étais ainsi paré pour le plus important. Afin de dissimuler ces effets aux fouilles possibles, j'avais cousu le veston à l'intérieur d'une veste militaire très ample comme une sorte de doublure. Il échappait ainsi aux yeux trop curieux.

Si notre service de Croix-Rouge m'avait fourni cette veste, il me permit de me procurer aussi, comme à beaucoup de camarades, le nécessaire pour un complément indispensable de costume. J'ai pu faire confectionner par un soldat français tailleur professionnel, avec une couverture bleu-gris sombre d'un drap épais, un vêtement trois quarts, ample à deux rangées de boutons du genre de ceux des ouvriers allemands, pour me servir de pardessus en saison froide. Je me suis en outre, fabriqué moi-même une casquette en drap bleu marine ; à rabats relevables retenus sur le devant par une petite boucle en acier. C'était en SILESIE la coiffure courante des Allemands, une sorte d'uniforme populaire.

Mais comme je n'aurais pu la porter en arrivant en FRANCE sans attirer l'attention, je m'étais muni pour vingt lagermarks d'une casquette française auprès d'un soldat français prisonnier à son arrivée au camp.

Restait la question des chaussures qui m'avait tant préoccupé à notre arrivée. Là aussi, au magasin de vêtement de la Croix-Rouge qui nous avait envoyé beaucoup de brodequins, je pus avoir ce qu'il me fallait. Mais une précaution s'imposait. Nos souliers de sous-officiers étaient d'un modèle courant semblable à celui que les allemands portaient, mais certains avaient les rabats de leur tige fixés par deux rivets en cuivre. Cette fixation n'existe pas en Allemagne et un de nos camarades évadé avait été repris à cause de ce détail que par malheur un allemand qu'il avait rencontré n'ignorait pas.

Grâce à ces souliers, je pus à loisir marcher, m'entraîner et surtout bien les adapter à mes pieds en les brisant comme on le dit dans l'armée. Précaution essentielle dans ce genre d'aventure où on a la perspective d'avoir à abattre sans fatigue, ni souffrance des pieds, de nombreux kilomètres.

À la fin de mes préparatifs d'équipement, je disposais de 93 reichmarks. Les quinze premiers des Polonais m'avaient coûtés huit lagermarks chacun, le reliquat quatre pour un. Mais une fois réunis tous ces moyens : argent, vêtements, boussole, carte michelin de la région de SARREBRUCK LUNEVILLE, que j'avais pu obtenir au début, la question se posait de les mettre à l'abri pour ne pas les voir saisir en cas de fouille par les ALLEMANDS ou de me les faire voler par des concurrents d'évasion.

J'avais dissimulé mes marks une partie dans un miroir portatif, une partie dans un savon à barbe évidé, une autre dans un tube de pâte dentifrice truqué. J'avais confié une dernière part au Capitaine VIRIEUX qui avait servi sous mes ordres à l'État Major de CLERMONT-FERRAND au début de la guerre et pour qui j'avais une grande amitié.

Les cartes et boussoles avaient été logées dans les poches de mon pantalon civil et lui-même ainsi que la cape, le pardessus, la chemise, la cravate, les casquettes étaient dans une caisse de vivres vide, mêlée à une pile de caisses qui restait dans le hall de la cantine où tout le monde, français et allemands, passait tous les jours. Seuls mes Officiers étaient au courant. Rien n'est mieux dissimulé aux fouilles que les choses les plus exposées à la vue.

Une fois prêt sur le plan matériel, entraîné physiquement, il reste à s'évader ce qui pose la question du plan d'évasion.

Ces préparatifs furent complétés par l'achat d'un indicateur des chemins de fer du Reich que nous avions pu nous procurer par un Allemand moyennant des petits cadeaux de conserves et surtout de chocolat pour lequel on avait en ALLEMAGNE une certaine prédilection à la suite du rationnement de guerre.
 

LE PLAN D'ÉVASION

Entre temps, je cherchais à mettre au point par mes recherches constantes et minutieuses d'informations quel plan adopter pour l'évasion.

Le problème comporte donc trois opérations successives :

d'abord : sortie du camp

ensuite : trajet à travers l'ALLEMAGNE

et : frontières à franchir

Le plan d'évasion a pu être mis au point en ce qui concerne le trajet et la frontière à franchir en Décembre 1940. Je pus recueillir les éléments d'informations nécessaires en raison des possibilités qui m'étaient offertes par mes fonctions de Croix-Rouge. Plusieurs Officiers s'évadèrent, deux furent repris et après une punition aux arrêts, rentrèrent à nouveau au camp. L'un d'eux, le sous Lieutenant LEJEUNE s'était fait appréhender à 800 mètres de la Frontière Yougoslave dans un dispositif militaire : il avait alors été conduit au Commandant d'un point d'appui. Il en résultait qu'une surveillance très serrée des diverses frontières avec les états neutres (YOUGOSLAVIE - SUISSE - HONGRIE) avait été organisée militairement.

Le second Officier s'était fait reprendre à CONSTANCE à la barrière de fer qui isolait l'ALLEMAGNE de la SUISSE dont il n'était qu'à quelques mètres.

J'en ai conclu qu'il valait mieux aller directement vers la FRANCE en franchissant le RHIN vers FRANKFORT, MAYENCE et n'avoir ensuite à traverser que les frontières SARRE - LORRAINE, puis LORRAINE d'avant 1914, FRANCE et enfin ligne de démarcation. En somme je supputais que ces quatre lignes devaient être beaucoup plus perméables qu'une seule frontière avec les neutres. L'avenir vérifia cette opinion. Plusieurs camarades évadés avant moi arrivèrent sans encombre en FRANCE. Mais étant donné la distance qui nous séparait de notre Patrie, la traversée de l'ALLEMAGNE devait nécessairement être effectuée en train.

L'expérience de nos camarades et divers renseignements nous fit préconiser

- 1°/ D'utiliser de " Personnenzüge " qui sont des express où l'on ne contrôle que les billets et jamais l'identité des personnes, car il y a affluence et renouvellement fréquent de voyageurs qui ne font pas de grands trajets,

- 2°/ D'aller de grandes gares en grandes gares sans stationner de nuit dans les salles d'attente qui étaient surveillées par la police Schupo,

- 3°/ De voyager sans discontinuité jour et nuit jusqu'à la zone Sarroise,

- 4°/ D'être très circonspect dans la zone Ouest du RHIN où il semblait qu'il fallait avoir des autorisations de voyage sur les express, et rapides notamment, où l'on y vérifiait les titres de transport et les identités de voyageurs. Un officier Allemand du camp nous dit à son retour d'escorte d'Officiers rapatriés, avoir été contrôlé huit fois sur le parcours entre Mayence et Châlon S/Marne. Il est vraisemblable d'ailleurs que les contrôles s'adressaient surtout à la circulation des militaires.

Après la SARRE, en LORRAINE le trajet à pied par les fermes isolées et les bois paraissait plus sûr, en marchant de préférence la nuit. Il y avait le problème de franchissement de la rivière elle-même, la SARRE, à résoudre au moment même.

Partir seul, à deux au plus, me paraissait le plus sûr.

Cette partie de mon plan était définitivement arrêtée en Décembre 1940.

Restait la sortie du camp, le gros problème pour les Officiers en raison du dispositif bien connu des OFLAG, réseau de barbelés sans fissures, miradors avec sentinelles.

Question d'occasion…. Rechercher sans arrêt " le trou propice "…
 

À LA RECHERCHE D'UNE ISSUE

Ma préparation matérielle, non entraînement et l'acquisition de connaissance de la vie allemande en ce qui a trait surtout à la réglementation de l'alimentation, de l'habillement, de la circulation autant dans les chemins de fer que sur les routes, tout était au point.

Dans mes marches quotidiennes j'observais soigneusement tout le service de surveillance allemand, les modifications éventuelles qui étaient toujours des aggravations, j'en recherchais méthodiquement les fissures possibles, hélas très rares. Il y avait des candidats sérieux à l'évasion, quelques 150 à 200. Il fallait redouter cette concurrence et des initiatives intempestives. Pour quelques uns qui réussirent dans leurs tentatives, des échecs révélèrent des issues possibles.

À tel point qu'au début de janvier il me fut demandé par le Colonel DAMIDOUX de créer une organisation d'évasion pour grouper les Officiers, faciliter leur équipement matériel, leur donner des renseignements sur le processus à suivre une fois hors des camps, rechercher les occasions de sortie, garantir à ceux qui avaient trouvé une combinaison pour s'évader qu'elle ne leur fut pas soufflée par d'autres peu scrupuleux, user éventuellement de mises en scènes pour faciliter la sortie d'une équipe, dissimuler le plus longtemps possible son absence en cas de réussite dans la sortie.

Cette organisation fut créée avec toutes les précautions possibles pour qu'elle ne fut pas éventée par le système de sûreté que les ALLEMANDS avaient dans le camp " l'Abwehr " bien connu depuis en FRANCE.

Ils furent cependant sur la voie de cette organisation à la suite d'évasions successives par une même issue, à l'occasion de travaux de peinture dans une partie du camp, non occupée par les Officiers et pour lesquels ils avaient demandé des volontaires parmi nous. Cela se passait en Janvier et Février 1941. À un Officier évadé repris ils dirent qu'ils savaient qu'il y avait une organisation et qu'ils connaissaient le nom de l'Officier supérieur qui la dirigeait, ce en quoi ils mentaient car je n'ai jamais été fouillé, ce qui aurait été leur premier acte s'ils m'avaient identifié exactement et ils m'auraient certainement envoyé dans un autre OFLAG.

Néanmoins pour la sûreté de l'organisation, j'en ai quitté la tête, la passant à un capitaine très qualifié dont le repérage était beaucoup plus difficile que celui d'un Colonel. Je restais dans la coulisse.

Mais le temps passait, la surveillance devenait toujours plus serrée et vigilante, les relations avec l'extérieur de plus en plus réduites et contrôlées. Je songeais à me faire mettre l'infirmerie, au lazaret, qui était hors du camp, bien surveillé cependant, mais il fallait être réellement malade et je ne l'étais pas. C'est à ce moment là que l'occasion se présenta providentiellement à moi.

J'avais émis l'opinion qu'il fallait tenter de sortir par un tunnel ce qui dans le sol sablonneux paraissait devoir être réalisable. Je m'en étais ouvert à quelques camarades et l'on devait tenter de faire ce tunnel.
 

SORTIE PAR UN TUNNEL

J'avais en même temps appris qu'il y avait dans le camp une petite association de vingt deux Officiers qui avaient décidé de s'évader par un souterrain. Notre projet était venu sur oreilles de deux Officiers de marine qui avaient entrepris depuis un mois un tunnel pour ce groupe. Ils vinrent me voir et me mirent au courant de leurs travaux. Après diverses tractations redoutant une initiative de notre part, j'obtins deux places, une pour le Colonel DAMIDOUX et une autre pour moi, nous avions décidé d'un commun accord de partir ensemble. Mais ces deux places nous furent données sous réserve de faire équipe avec les deux Officiers mécaniciens de la marine. L'entrée du tunnel se trouvait sous leurs lits.

En définitive cette équipe comportait quatre membres :

- Le Colonel DAMIDOUX chef d'équipe qui parlait parfaitement l'allemand.

- Les deux Officiers de marine,

- Le lieutenant BOUTEILLER,

- Le sous-lieutenant MOURA,

qui ignoraient totalement totalement l'ALLEMAND

- et moi qui le connaissais mais le parlais avec un très mauvais accent.

Notre collaboration avec les Officiers du souterrain se manifesta par les facilités que je leur procurais pour s'équiper (marks-effets civils, chemises, brodequins, matériel pour le tunnel, luminaires, cordes, caisses de coffrage, etc…). Nous leur avons aussi recommandé de s'entraîner à la marche pour se durcir les pieds et briser leurs chaussures, ce que l'un d'eux négliges. Ceci se passait fin février 1941.

Cette sortie par un tunnel avait l'avantage de nous laisser quelque peu maîtres du choix du jour et de l'heure de la fuite.

Pour avoir une notion exacte du problème de la sortie par un tunnel, il est bon de donner ici des précisions sur la physionomie et la surveillance du camp dans la zone qu'il fallait franchir.
 

LE TUNNEL

Le camp dans un terrain de sable très plat forme un vaste rectangle de 750 à 800 m divisé en blocs. Dans chaque bloc il y a quatre baraques en bois qui sont élevées de 30 à 40 cm au dessus du sol. L'ensemble du camp est entouré de deux rangées de fils de fer barbelés de 2 m 50 de haut, distantes de 2 m 50 environ. Il y a dans leur intervalle un hérisson de fil de fer barbelé de 0 m 75 de haut fixé au sol par des piquets en fer. Les sentinelles entourent l'enceinte : une toutes les 150 mètres, il y en a dans les miradors. À chacun des quatre coins du camp un très vaste mirador, plus élevé et plus vaste que les autres permet de loger deux hommes en permanence, complètement à l'abri.

Ils ont d'excellentes vues fichantes, ils disposent d'armes automatiques et deux ou trois phares d'automobile orientables à leur gré avec lesquels toute la nuit ils balayent le camp.

Le réseau est éclairé par des lampes électriques dont les cônes de lumière se recoupent sur le sol, mais en laissant toutes les sentinelles extérieures dans l'ombre. La nuit, il est interdit de s'approcher du réseau. En cas de panne de lumière ou d'alerte, les Officiers sont bloqués dans les baraques et tout le service de garde de la périphérie est renforcé.

Le système de surveillance comporte aussi des chiens. Dans le camp, un seul bloc habité par les Officiers a ses baraques en bordure du réseau. La baraque la plus proche du réseau en est à 5 mètres environ, c'est la baraque 40 (voir croquis). Mais comme elle avait été utilisée en Octobre 40 pour faire le premier souterrain qui a avorté à la suite d'un éboulement, elle n'était plus occupée et ne servait que de jour pour les cours de l'Université du camp. La nuit, elle était fermée par les ALLEMANDS après une fouille sévère et une sentinelle à l'extérieur du réseau la surveillait en permanence. Les ALLEMANDS, pour éviter un nouveau tunnel avaient creusé tout au long, entre elle et le réseau un fossé d'un mètre quatre vingt environ de profondeur. Nos deux Officiers qui avaient entrepris le deuxième souterrain au mois de Janvier l'avaient fait partir de la baraque suivante (baraque 38) située à environ 10 mètres de l'autre. L'origine de notre tunnel était un puits P1, auquel on accédait par une trappe située sous le lit du Lieutenant BOUTEILLER. Un tronçon souterrain de dimensions 0,60 x 0,60 le reliait au puits P2 sous la baraque 40 située en bordure du réseau. Sous celle-ci par une rainure en surface de direction perpendiculaire au premier tronçon on remontait sous toute la longueur de la baraque de façon à contourner le fossé.

À partir du puits P3 sous l'extrémité de la baraque, le tunnel reprenait et se dirigeait, après un coude, vers l'extérieur du camp. Il fallait qu'il dépassât le réseau de vingt à vingt-cinq mètres pour que le débouché n'offre pas de trop grands risques. Il était entièrement coffré avec des cadres faits avec des planches provenant en partie du second plancher des baraques. La terre enlevée était dissimulée sous les baraques et aucun indice ne révélait le travail. Mais il devenait de plus en plus difficile car à partir du puits P3 le dernier tronçon devenait très long et l'aération se faisait très difficilement. Il fallut l'assurer faute de pouvoir faire une prise d'air extérieure qui aurait été révélatrice, avec une pompe ayant un tuyau fait en carton goudronné provenant des toitures. L'éclairage devint difficile à assurer par manque d'aération et manque de luminaire. Impossible de trouver des bougies, car la graisse se raréfiait, le pétrole des lampes de secours des baraques avait été épuisé. D'autre part, la fonte des neiges en Février remplit d'eau la fosse et des infiltrations se produisirent à sa hauteur dans le tunnel.

Toutes ces difficultés furent vaincues grâce à l'opiniâtreté et la résistance physique du Lieutenant BOUTEILLER et du sous-Lieutenant MOURA. Mais peu à peu la saison devint moins humide, la neige et l'eau disparurent. Les alertes aériennes revinrent, les lampes de secours des baraques purent être ravitaillées en pétrole et l'éclairage du souterrain pu à nouveau être bien assuré.

           

Campagne de 1940 : Évasion de l’OFLAG IVD en Silésie par le Gal Antoine Monne

   contact : monne (-at-) monne.fr